Démarche artistique au Brésil

“Le portrait est semblable à l’amitié, dans le sens qu’il est non seulement capable de rendre ceux qui sont absents présents, mais aussi d’amener ceux qui sont morts depuis des siècles en arri��re à la vie” — ainsi a écrit Léon Battista Alberti au XVe siècle .

Je voudrais que mes portraits aient cette sorte de résonance, transmettre un sentiment de présence. D’une certaine façon, ils ne se détachent pas de la tradition de la Renaissance. Dans mon parcours, les références à l���histoire de l’art sont importantes, non seulement pour explorer les approches techniques, mais pour comprendre les idées a partir desquelles s’est fondée l’esthétique contemporaine.

Sur quelle th��matique s’engagea mon projet ?
Je poursuis une démarche artistique en donnant suite à un premier projet initi���� au Brésil en 2007, lors du festival annuel de photographie du Rio de Janeiro, « Foto Rio ». À cette occasion, j’ai pu travailler dans un établissement pénitentiaire : la prison pour femmes « Tavalera Bruce », à Bangu, dans la banlieue de Rio de Janeiro. Accompagnée d’un photographe intéressé par la pratique photographique dans le milieu carcéral, j’ai réalisé des portraits de détenues, dont vous trouverez quelques exemplaires ci-joint. Ces photographies ont, ensuite, fait l’objet d’une exposition à l’intérieur de l’enceinte pénitentiaire.
En raison d’une loi qui protège l’identité des détenues, l’inventaire de ces photographies n���a été pr��senté qu�����à l’intérieur de l’établissement de rétention. Ainsi, j’ai décidé de donner suite à ce travail qui fait partie de mon parcours artistique, d’une part en approfondissant mes connaissances techniques de repr��sentation, et d’autre part en les mettant en œuvre dans ce même contexte, soit la prison pour femmes de Bangu.

Justificatives du projet
Les prisons ont déjà fait l���objet de nombreux reportages ; ce sujet ayant été aborde par divers photographes, journalistes et écrivains. Cependant, dans la plupart des photographies qui traitent ce sujet, les cliches se passent comme si les images fixaient plut��t l’attention sur les conditions de d������tention et la violence qui caractérisent leur condition de prisonniers : les images renvoyant aux cliches de l’ombre d���un gardien projetée sur un mur sordide, une porte blindée ou des barreaux. À l’oppose, il s’agit ici de prises de vue différentes : deux femmes en train de faire leurs manucures ; une autre vend des fleurs qu’elle a elle même confectionnées ; d’autres s’embrassent ; d’autres encore prennent un bain de soleil…
Or, la prison est le lieu du cache, de la violence, de l’obscur. Au Moyen Age, elle ��tait étroitement associée à la folie (« l’enfermement de fous », selon Foucault) et, depuis, elle n’a cessée d���être considérée comme une forme de « dépotoir de la société ». Assurément, le rapport entre le portrait artistique et la prison (lieu anti-esthétique et mis a l’écart du regard) est l’un des plus paradoxaux qui soient.
C’est pour cette raison même que j’envisage d’explorer, au cœur de ma pratique artistique, le lien qui peut s’établir entre ces deux univers.

En partant de ce que le portrait tente d’attendre, comment saisir la personne de l’autre (dans un acte relationnel entre le peintre et le modèle) pour la faire exister?

La méthodologie
J’utilise le dessin et la peinture comme une alternative au portrait photographié, dans la mesure où celui-ci est interdit.
Mon travail, avec les détenues, s’effectue en deux temps :

- le premier : le dessin d’observation dans la prison pour femmes de Bangu, à Rio de Janeiro, au Brésil. C’est �� ce stade que mon travail est en contact direct avec la r��alit��, par l’élaboration préalable d’un répertoire de formes avec lesquelles je compose en fonction des besoins de mes peintures.

L’��tude de la figure humaine d���après le modèle vivant, sans recours a la photographie, se situe au centre de ma pratique artistique. Dans cette première ��tape de mon travail, je me permets de laisser, volontiers, un sentiment d’inachevé dans l’image ; ci-joint, un exemple d’un de mes portraits : c���est la façon dont j’exécute mes études d’après nature.

(Caroline Ting, Etude de Pamela, sanguine et charbon blanc sur papier,40 x 42 cm, 2009)
- le deuxième : le travail en atelier, en France. C’est alors que je me propose d’approfondir les significations symboliques à partir de mes études préliminaires réalisées au Brésil.

Une méthode de travail qui exclut la photographie – et privilégie ainsi la relation du peintre au mod��le
Dans ma peinture, quel que soit le sujet, la priorité technique est fondamentale pour l’organisation de l’œuvre. J’ai d��veloppe mon étude en acquérant des notions fondamentales d���analyse picturale (perspective, lumière, pigments…), architecture sur laquelle s’appuient les artistes figuratifs pour observer, comprendre, choisir leurs projets. Ces principes de base, une fois maitrisés, loin de limiter la liberté, l’expression et l’originalité de mon travail, les renforcent et leur donne leur structure.
Dans le processus d’exécution de l’œuvre, je m’intéresse ��galement à l’intensité du contact qui s’opère entre moi et le modèle au moment de la pose. Mes images ne pourront interpeller que par leur réalisme. Dessiner d’après nature, c’est rendre évident sur le papier une accumulation d���événements subtils. Le temps est, en effet, une condition essentielle de mon travail. C’est l’avantage du dessin par rapport a la photographie : il est plus séquentiel ; la représentation comme l’aboutissement d���une fermentation progressive.
La s��ance de pose donne l’occasion d’entretenir un rapport bien plus intime et, par la suite, de tenter une véritable rencontre avec autrui. Cette rencontre peut avoir un pouvoir esthétique et émotionnel. Une relation se développe entre la main, les yeux et l’esprit, et reste indépendante des influences photographiques ou autres compromis. Ce souci de clairvoyance aide a confronter le réel sans médiation, a être débarrassée des préceptes moraux, m’attacher exclusivement aux faits de la nature.

En 2010, une exposition3 organisée au musée Carnavalet à Paris, ayant pour titre L’impossible photographie, Prisons parisiennes (1851-2010), a constitue un miroir d’inspiration pour ma démarche. Cette exposition a fait un reportage très complet avec, à la fois, des vues extérieures et intérieures des bâtiments. Cependant presque aucun personnage n’était visible dans ces documents.
En voyant que le sujet de la prison a fait l’objet d’une exposition susceptible d���intéresser le public, j’ai décidé de poursuivre mon projet initial comme thèse de doctorat en France.
La question posée par l’exposition était : La photographie peut-elle rendre compte des réalités pénitentiaires? C�����est en m’approchant de cette lignée thématique que s’inscrit mon projet.
Mon propos, avec la réalisation de portraits, ��tant de faire ressortir la beauté de ces femmes en leur rendant leur identité première, celle de femme et d’être humain, en dehors du simple statut de détenue. Dessinées ou peintes de manière à transmettre leurs traits individuels, les individus s’introduisent dans les images : non des partenaires de telle ou telle catégorie morale ou sociale, mais des personnes particulières, pourvues d’un nom et d’une biographie (que nous ignorons).

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